« Y en aura pas de facile!!! » Voilà la phrase qui décrit bien nos dernières semaines sur la route. Denise pense à son amie Ginette qui aime bien la taquiner: elle va sûrement dire qu’il lui reste des vieux péchés à expier!
Pourtant, ça commençait assez bien. Au départ de Chattanooga, nous roulons sous un timide soleil à travers une jolie campagne vallonnée. Au premier village, un vieil homme dans une camionnette nous arrête avec de grands signes car il veut absolument nous parler. Il a plus de 85 ans et il nous raconte avoir traversé les États-Unis à vélo avec un ami quand il avait 70 ans! Cet ami plus vieux que lui est mort d’un arrêt cardiaque sur son vélo lors d’une randonnée il y a quelques années. « Il est mort heureux » dit-il, tout ému. Nostalgique de cette belle époque, il insiste pour nous prendre en photo et nous souhaite bonne route. La passion n’a pas d’âge.
Peu après, nous franchissons la barre des 27,000 kilomètres! Pas beaucoup de temps pour célébrer car les nuages reviennent en force et nous échappons encore une fois à des déluges successifs en séjournant chez des hôtes Warmshower entre autres, à Maryville, chez Rob, où nous dormons dans un pavillon de piscine à l’abri de la pluie. Après une étape camping pluvieuse (encore!) à Hot Springs, nous stoppons à Burnsville où Mary et Jim nous font sentir comme des vedettes quand leur groupe d’amis cyclistes arrivent pour la soirée. Les questions fusent et c’est avec plaisir que nous partageons notre expérience de la route.
Puis nous entrons finalement sur le célèbre Blue Ridge Parkway un peu au nord de Asheville en Caroline du Nord. Cette route scénique suit plus ou moins la crête du Blue Ridge, un massif montagneux sur la face orientale des Appalaches. Ça veut dire des côtes en masse pour passer d’une montagne à l’autre. On a beau avoir des milliers de mètres de dénivelé positif dans les pattes, une côte, ça reste une côte et quand les conditions climatiques passent constamment du meilleur au pire, avec un fort penchant pour le pire, eh! bien! c’est du sport!
La première journée se passe pourtant relativement bien car le soleil daigne se montrer un peu pour nous permettre d’apprécier pleinement les premiers points de vue que nous offrent les nombreux belvédères tout le long du Blue Ridge. Ah! si seulement ça pouvait durer! Mais en après-midi, ça se gâte et dès que nous avons monté le camp à Linville Falls, le premier camping sur le Ridge, il commence à pleuvoir…et il pleut toute la nuit!
Le lendemain, nous décampons tout mouillés et c’est sous un ciel menaçant que nous roulons pratiquement toute la journée. Nous avons rendez-vous à Boone chez des hôtes Warmshower. Le moral un peu à plat, nous espérons arriver là-bas avant la pluie. À l’heure du lunch dans un site de pique-nique aménagé, un homme nous aborde intéressé par notre voyage et nos vélos. Scott demeure justement à Boone et a travaillé dans une boutique de vélo. Quand il se met à examiner nos montures, il découvre une fente de 5 cm sur la surface de freinage de la jante arrière du vélo de Charles!!! Ça alors! Les freins en V sont venus à bout de nos jantes quasi indestructibles. Il faut dire que plus de 253,000 mètres en dénivelé négatif, ça exige inévitablement beaucoup de freinage. Évidemment, pas de chance à prendre, il faut changer les jantes car il nous reste encore pas mal de montagnes à franchir.
Après le lunch, dès que nous repartons à l’assaut d’une longue pente, une pluie froide s’abat sur nous et c’est mouillés et frigorifiés que nous entrons à Boone. Nous stoppons chez Magic Cycle, la boutique que nous a conseillé Scott et nous passons commande pour 4 jantes neuves. Le hic: ça va prendre quelques jours. Mais Beth et John, nos hôtes Warmshower, nous offrent gentiment de rester avec eux aussi longtemps que nécessaire. Et quel agréable séjour ça sera! Beth et John travaillent tous les deux à l’Université des Appalaches et ils préparent leur retraite d’ici peu et devinez ce qui les passionnent: le vélo et les voyages! Ça donne des échanges des plus intéressants. Nous passerons 3 jours chez eux à l’abri du temps exécrable qui sévit sur la région: pluie, vent, froid et neige sur la montagne!
Nos bécanes réparées, nous revoilà sur le Blue Ridge Parkway, habillés chaudement, car le froid persiste. La journée se passe finalement sous le soleil et ce soir-là, nous campons au Wild Woody, un camping privé à quelques mètres du BRP. Les proprios sont de vieux hippies au look de ‘bikers’ et ils nous accueillent chaleureusement. Des effluves de ‘pot’ flottent dans l’air et la bière coule à flot…Ils nous invitent à venir boire du ‘Moonshine’. Du quoi? Nous apprenons qu’il s’agit d’un alcool frelaté très populaire par ici depuis le temps de la prohibition. Illégal, cet élixir est pourtant toléré et on en fait même un commerce plus ou moins officieux un peu partout dans la région. Cependant, le temps venteux et froid ralentit les ardeurs de ce beau monde et nous passerons une soirée tranquille au chaud dans la tente.
Le lendemain, Denise se réveille avec une terrible migraine…pourtant, elle n’a pas bu une seule goutte de Moonshine! C’est plutôt la faute au vent qui a secoué la tente toute la nuit rendant le sommeil difficile. Mais après avoir pris un anti-migraineux, l’énergie lui revient et nous poursuivons la route. De belles percées de soleil nous permettent d’apprécier les beaux panoramas qui s’offrent à nous. Le Blue Ridge Parkway mérite vraiment sa réputation de plus belle route de l’est des États-Unis.
En effet, malgré les soubresauts constants de la météo, les paysages sont superbes car même après une nuit de pluie, la brume ajoute une touche fantasmagorique avec ces bancs de nuages qui s’effilochent dans les vallées en contrebas. S’il ne faisait pas si froid, nous pourrions mieux apprécier.
Il y a heureusement des compensations à toutes nos misères. Ce sont les merveilleuses rencontres que nous faisons. À Roanoke, la plus grosse ville sur le Blue Ridge, nous séjournons chez Dustin et Pete, des hôtes Warmshower absolument charmants! Nous nous laissons gâter sans retenue dans le confort de leur chaleureuse maison et nos estomacs se rappellent encore les fabuleux déjeuners au Sweet Donkey, le Coffee House que possède Dustin en ville. Entre autres moments agréables, Denise se rappellera avec plaisir ces conversations entre filles avec Dustin, comme si elles étaient de vieilles amies!
Sur les conseils de Pete, nous prenons la route 11 car une section de plus de 25 km du BRP au nord de Roanoke est fermée à cause de travaux de pavage. Cette route plus ou moins parallèle au Blue Ridge est tout de même agréable car elle traverse plusieurs petits villages pittoresques avant de nous ramener sur la route scénique près de la rivière James où nous campons à Otter Creek. Cette fois pas de pluie en soirée mais une nuée de moustiques voraces nous font la vie dure. Mais évidemment, le ciel ne peut se retenir de nous envoyer quelques averses pendant la nuit et nous repartons le lendemain sous une petite bruine intermittente. Ce soir-là, nous méritons le confort d’une Cabin à Love pour nous protéger du vent et du froid…Au risque de me répéter, décidément, la météo suit le même profil en dents de scie que les montagnes.
Pour notre dernière journée sur le Blue
Ridge, le ciel se montre relativement clément, comme s’il tenait à nous faire garder un bon souvenir de ce parcours malgré tout. Nous arrêtons à tous les belvédères pour nous en mettre plein la vue avant de nous lancer sur le Skyline Drive, une autre route scénique qui prolonge le Blue Ridge au nord sur plus de 160 kilomètres, à travers le parc national Shenandoah. Notre premier arrêt au camping Loft Mountain restera mémorable. Imaginez un froid de canard, de la pluie glaciale pendant une partie de l’après-midi, et deux cyclistes exténués qui arrivent à l’entrée du camping. Et qu’est-ce qui nous attend? Une route d’accès de presque 3 kilomètres aux gradients de plus de 10%. Ça vous rachève les plus endurcis des sportifs!
On aurait bien mérité une nuit calme mais le camping situé au sommet de la montagne est balayé toute la soirée et toute la nuit par des vents à écorner les boeufs. On bat des records de froid pour cette époque de l’année nous dit-on…Grrr! Et ça se poursuit le lendemain quand on campe à Big Meadows. Plusieurs campeurs annulent leur séjour mais comme nous n’avons pas d’autres options, il faut bien affronter encore une nuit dans nos duvets plus ou moins amochés par toutes ces nuitées depuis presque 2 ans. Nous ne pensions jamais avoir aussi froid en Virginie pourtant renommée pour ses printemps hâtifs. Eh! bien! on repassera!
Heureusement que la beauté de la route vient contrebalancer quelque peu toutes ces difficultés. Mais après 5 longues journées de plus de 1,200 mètres de dénivelé positif en moyenne chaque jour, les jambes fatiguées, le corps transi par le froid, nous optons pour un confortable motel à Front Royal où nous resterons 2 jours complets à ne rien faire, histoire de récupérer. Les prévisions météo n’ont rien de réjouissant pour les prochains jour de toute façon.
Avec le Blue Ridge Parkway et le Skyline Drive, voilà notre dernier défi physique d’importance complété. Devant nous maintenant, ce que nous voyons comme la dernière étape avant de rentrer à la maison: de tranquilles chemins de campagne à travers la Pennsylvanie, l’état de New-York et le Vermont. Denise ne peut pas croire qu’il lui reste encore des péchés à expier, alors espérons du temps plus clément pour la suite…
Québec, ‘here we come’!!!